Chaque individu possède en lui la ressource de développer des histoires qui le rendront plus fort

Accompagnement des hommes et des femmes dans leur vie au travail :

  • Accompagnement individuel
  • Accompagnement d’équipes et de communautés

Accompagnement des jeunes dans leur parcours scolaire :

  • Orientation - Aller à la recherche de son projet
  • Confiance en soi - Gestion du stress

Une histoire d’avenir pour jeunes collégiens en difficulté Publié le : 20 mars 2010

Propos recueillis par Manfred Mack pour Transitions.

Interview parue dans Transitions n° 3 consacrée aux potentialités.

Entretien avec Dina Scherrer

En 2008, Dina Scherrer a accepté la mission unique et nouvelle : coacher pendant toute une année scolaire des jeunes de quinze ans en classe de 3ème de Segpa (section enseignement général professionnel adapté). C’est son expérience hors du commun, d’accompagnement de jeunes pour les aider à sortir d’une situation liée à un sentiment d’échec qu’elle nous raconte dans cet entretien.

Le contexte

En Septembre 2008, je rejoins un groupe de neuf coachs sélectionnés par l’Association « Réussir

Moi Aussi » dont la mission sera d’accompagner des jeunes en classe de 3ème Segpa du Val de

Marne. Au total, nous allions nous occuper de 450 jeunes, répartis dans 31 classes faisant partie

de 26 collèges. J’allais, pour ce qui me concerne, être en charge de l’accompagnement de 65

jeunes (4 classes dans 3 collèges).

J’avoue que, même si l’occasion me paraissait être « faite pour moi », j’abordais cette mission avec une certaine appréhension. Je savais que l’on mettait dans ces classes des jeunes considérés

comme n’étant pas au bon niveau ou comme n’ayant pas le comportement qu’il faut. Les jeunes

et leurs familles vivent mal ce type d’affectation. Pour eux, il s’agit en quelque sorte d’une

« punition » et cela accentue un sentiment latent de marginalisation.

Un autre fait n’allait pas nous faciliter la tâche. Le programme, dont nous étions les acteurs, avait

été conçu « au sommet » et plus ou moins parachuté auprès des directeurs des collèges concernés,

souvent sans qu’ils y soient favorables. On imagine que, dans ces conditions, nous n’étions pas

exactement considérés comme bienvenus par le personnel enseignant de ces établissements.

Les premiers pas

Bien évidemment, je ressens une bonne dose de nervosité le jour de ma première intervention. Je

prends soin de bien expliquer aux professeurs dans quel esprit j’ai l’intention de faire ce travail et

comment je propose de faire jouer la complémentarité de nos rôles. Je demande à rencontrer

chaque jeune individuellement pour « faire connaissance ».

Les entretiens se passent difficilement. J’explique ma fonction. On sent la méfiance chez chaque

jeune que je vois en tête à tête. J’essaie d’interroger chacun sur ses centres d’intérêts, ses envies,

un possible métier envisagé. A chaque fois, le jeune me répondait de la même façon : « Je ne sais

pas ». J’avais l’intuition que cette réponse était leur manière de me dire quelque chose. C’était du

genre « à quoi bon te dire ces choses-là, tu ne m’entendras pas vraiment… »

Il allait me falloir du temps et de la patience pour gagner leur confiance.

Il serait trop long de faire ici le récit de toute une série d’étapes que j’ai franchies pour que ces

jeunes se sentent suffisamment en confiance pour commencer à me traiter en alliée. Souvent,

c’était par des séances qui s’apparentent à des jeux qu’il me fallait imaginer.

Par exemple, lors d’une de ces séances, j’ai fait s’exprimer la classe en groupe sur « ce que je

n’aime pas en Segpa ». Cet exercice les a beaucoup amusés. Ils pouvaient se libérer de leurs

« plaintes ». Voici quelques une de leurs expressions : « les profs des classes normales parlent mal de nous », « je me sens mis à l’écart », « on dit de nous qu’on est des attardés mentaux »…

Au vu de ces remarques, j’ai pensé qu’il serait utile de les amener à trouver un nom pour désigner

leur problème. Ils ont rapidement convergé vers le mot « Gogol ». « On nous prend pour des

Gogols », disaient-ils.

La pratique narrative

A partir de là, j’en arrive à parler de ce qui a été au coeur de la démarche que j’ai plus ou moins

construite « en marchant ». Il s’agit d’une approche basée sur la pratique narrative.

Dans mon métier, il est d’usage qu’un praticien coach comme moi soit suivi par un superviseur.

Mon superviseur est Pierre Blanc-Sahnoun qui a beaucoup développé, par ses travaux, la pratique

narrative et il me l’a enseignée. Le principe est en gros le suivant. Le comportement de chaque

personne est fortement influencé inconsciemment par l’histoire que l’on se raconte. Cette

histoire se forme petit à petit au travers des expériences de la vie – vie de famille, vie dans son

quartier, vie avec ses copains, etc.

Souvent cette histoire a un effet négatif sur la manière de vivre sa vie. C’est manifestement le cas

de ces jeunes venant de milieux défavorisés. En l’occurrence, l’histoire que se racontent les jeunes Segpa, c’est celle des Gogols qu’ils n’ont pas envie d’être !

La pratique narrative propose aux intéressés qui vivent mal leur histoire actuelle, de se

construire une histoire alternative. La nouvelle histoire que l’on va créer, puis, que l’on va

nourrir, de façon à ce qu’elle prenne de l’expansion, va en quelque sorte « chasser » l’ancienne et

prendre sa place.

Révéler les talents

Il s’agissait pour moi de trouver les éléments avec lesquels il serait possible de tisser cette

nouvelle histoire. J’avais l’intuition que les talents, les compétences, les qualités personnelles que

portaient ces jeunes pouvaient constituer la trame de la narration souhaitée. J’insiste sur le fait que pour moi toute personne a de la valeur. C’est une croyance que j’ai au départ et qui

conditionne toute mon approche.

Mais j’ai réalisé très tôt qu’il était difficile pour ces jeunes de parler spontanément de leurs

compétences. J’avais l’impression qu’ils ne savaient pas bien de quoi je parlais lorsque je leur

posais des questions à ce sujet. C’est au travers de certains exercices que nous avons pu

progresser, par exemple, lors d’une séance de travail en binôme. Chacun devait venir accompagné d’un autre jeune avec lequel il s’entendait bien. Tour à tour, chacun devait parler de son camarade et répondre à des questions telles que : « qu’est-ce qui te plaît en lui ? », « qu’est-ce qu’il sait bien faire ? », « que penses-tu qu’il aime chez toi ? »…

Le fait d’entendre son camarade dire « il joue super bien au foot » ou « il aime rendre service »

provoque chez l’intéressé un sentiment de plaisir et de fierté et cela contribue à construire la

confiance.

A un autre moment dans la démarche, nous avons fait un travail en lien avec les métiers. Je leur

faisais choisir au hasard des cartes avec des illustrations de métiers : cuisinier, menuisier,

infirmière, boulanger. Puis, il s’agissait de les faire parler de ce qu’ils ressentaient par rapport aux

métiers apparaissant sur les cartes : « c’est trop nul, parce que… », « ça me plaît moyennement,

c’est-à-dire… ». Par ce processus, je cherchais à ce qu’ils se sentent suffisamment à l’aise et en confiance pour oser parler de ce qui pourrait devenir un vrai objectif de métier pour eux. Je me souviens du moment où l’un d’entre eux avait eu le courage de dire que son rêve était de devenir journaliste !…

On imagine que jusque là, il ne se serait jamais autorisé à exprimer cette envie, de peur de se

ridiculiser ! Dans le travail avec lui, je l’ai encouragé à persévérer dans ce sens.

Dans certains cas, j’ai pu constater que les jeunes hésitaient à se prononcer en faveur d’un métier

donné, craignant que cela soit un choix irréversible : « si je vais pour faire mécanicien, je ne

pourrai plus faire autre chose ». J’expliquais que l’on cherchait une voie, une orientation pour

commencer à aller dans un certain sens…et que, bien sûr, on pouvait changer si le premier choix

ne plaisait pas.

Créer ensemble

Tout au long de cette démarche, je communiquais à mes jeunes coachés une impression que

j’avais ressentie, d’abord de façon diffuse, puis de plus en plus clairement. Mon impression était

que ces jeunes étaient, en quelque sorte des héros, qu’ils avaient une force incroyable leur

permettant de résister à tous les problèmes qu’ils rencontraient : violence, exclusion, dénigrement.

J’avais parlé très tôt de ce que je ressentais à mon superviseur, Pierre Blanc-Sahnoun, et celui-ci

avait eu l’idée d’écrire une lettre dans laquelle il exprimait, avec ses mots, tout le respect qu’il avait pour la manière dont les « Gogols » résistaient à leur mauvaise histoire. Les jeunes à qui j’ai lu cette lettre ont été particulièrement touchés par ce geste. Ils ont même décidé d’écrire ensemble une lettre de réponse à Pierre.

L’observation de cette capacité à résister m’a donné l’idée de les faire répondre à la question

suivante : « qu’est ce qui m’aide à tenir le coup quand ça va mal ? » La réponse était quasi unanime : la musique. Je les ai donc invités à me parler des « chansons qui m’aident à vivre ».

Cette séance d’échanges a eu un grand succès. Elle a permis de révéler d’autres talents – le chant,

le rythme, la danse. Ils ont même répondu à ma proposition d’écrire un rap sur le thème « ce que

je pense de la Segpa ».

Des personnes ressources

Au cours de la deuxième moitié du parcours, j’ai voulu leur faire prendre conscience de

l’importance à attacher à des notions telles que le fonctionnement en réseau, l’aide que l’on peut

solliciter auprès d’autres personnes, lesquelles deviennent alors des personnes ressources. Ainsi,

ils avaient comme exercice de se créer leur propre « fan club ». Je leur demandais pour cela de

penser à des gens autour d’eux, parmi les amis ou dans la famille, « qui pensent que ce que tu fais

est important ». Ils devaient en établir la liste et s’interroger sur le type de support qu’ils

pouvaient éventuellement attendre de ces personnes.

Vers la fin du parcours, j’ai proposé qu’ils organisent une séance de présentation et d’échanges

avec des témoins extérieurs. Les jeunes ont choisi les gens qui sont venus à la réunion : des

professeurs, des experts de certains métiers. Ce sont eux aussi qui ont préparé la rencontre avec

des photos, des affiches, des illustrations du travail réalisé. Il y a eu à l’occasion de la rencontre

des témoignages extraordinaires !

En somme, nous découvrions ensemble qu’il y avait de nombreuses possibilités pour faire grossir

et embellir la nouvelle histoire…

Ils prennent leur envol

Lors de la dernière séance avec les jeunes, normalement on aurait dû se dire au revoir et c’était

fini. Les deux dernières séances avaient pour objectifs de clôturer notre mission. Les questions

des dernières séances sont des questions qui permettent de valider les acquis. Du style : Qu’est-ce

que j’ai appris pendant notre mission et qui va m’aider dans ma vie plus tard ? Qu’est-ce que je

fais différemment à présent ?…

Moi, je leur ai tout de même remis ma carte de visite. Je ne savais pas si je faisais bien ou pas.

Mais, c’était une manière de ne pas totalement couper le lien. Ceux qui voulaient reprendre

contact d’une manière ou d’une autre allaient pouvoir le faire.

Dans les premiers temps, je recevais pas mal de textos : Ca va Dina ? Vous nous manquez.

Qu’est-ce que vous faites ? Textos auxquels je ne répondais pas.

Par la suite, lors de leur rentrée scolaire au lycée professionnel, une vingtaine de jeunes m’ont

raconté, par textos et par téléphone, très fiers de leurs rentrées des classes, comment ça se passait

pour eux au lycée. Ils ont été agréablement surpris (notamment Naïma et Naminatasy) de voir

qu’ils ne sont plus en Segpa, qu’ils sont à présent mélangés aux autres élèves venant de 3ème

« normale » et qu’ils y arrivent quand même, qu’ils ne sont pas différents. Mickael m’a raconté sa

joie d’être dans le Lycée Professionnel en Restauration qu’il avait choisi et de faire enfin ce qu’il

aime. D’autres m’ont raconté leurs arrivées en entreprise pour un contrat en alternance, très fiers

aussi. Un jeune (Ibrahima) est venu à mon bureau. Le patron qui s’était engagé à le prendre venait de se rétracter au dernier moment. Je l’ai aidé à se remobiliser pour en trouver un autre. Ce qu’il a fait.

Là, j’ai pris le temps de répondre aux textos et aux appels téléphoniques car c’était en lien avec

notre travail et qu’ils étaient en train d’étoffer eux-mêmes leur nouvelle histoire de réussite.

Publié le : 20 mars 2010 | 1 Commentaire | Partager/Mettre en favoris


1 Commentaire sur l'article “Une histoire d’avenir pour jeunes collégiens en difficulté”

  1. 1 Nom (obligatoire)Rousselot a dit à 15 h 16 min le juin 23rd, 2011:

    J’ai lu avec intérêt votre article que j’ai trouvé intéressant. Mais, mère d’un enfant trisomique, je suis choquée par le terme Gogol ( faisant référence aux mongoliens ou trisomiques). Cela n’encourage pas les élèves à respecter les porteurs de trisomie 21 : Gogol étant une insulte. Cela donne également une image négative des trisomiques dont certains suivent un parcours dans le milieu scolaire ordinaire et sont loin d’être bêtes.


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