Perles de vie Publié le : 1 mai 2015
Vers qui ou vers quoi revenir quand on a besoin de force
Quand le praticien narratif accompagne une personne et qu’une histoire préférée émerge, c’est-à -dire une histoire qui fait écho à ce que cette personne veut pour sa vie, il va s’efforcer de faire en sorte par tous les moyens que cette personne reste le plus possible reliée à cette histoire. Car rester connecté à l’histoire préférée peut s’avérer pour elle un redoutable défi au milieu des autres histoires qui lui font encore concurrence.
Une manière puissante d’y arriver consiste à trouver des témoins de ces histoires préférées ou bien des personnes qui ne seraient pas étonnées de ce qu’elles racontent ou encore qui apprécieraient ce qu’elles disent. En quelque sorte des témoins de l’histoire préférée.
Une fois ces témoins identifiés, il s’agit d’engager une conversation de re-membering (L’expression « re-membering » est un jeu de mot créé par Barbara Myeroff entre re-member : redevenir membre, et remember : se souvenir) afin que ces personnes ne soient pas seulement un nom, mais qu’elles s’incarnent un maximum. Celui ou celle que nous accompagnons se rend alors compte de l’importance de ces personnes dans sa vie mais également de l’importance qu’elle a dans la vie de ces personnes. En pratique narrative, on appelle l’ensemble de ces témoins de l’histoire préférée le « Club de vie ». C’est en quelque sorte son club de soutien.
Conversation de re-membering :
. Peux-tu me parler de cette personne ? Qui est-elle ? Qu’apprécies-tu particulièrement chez elle ?
. A ton avis, qu’est-ce que cette personne apprécie chez toi ?
. Est-ce que le fait de la connaître t’a permis de faire des choses que tu n’aurais pas faites si tu ne l’avais pas connue ?
. A ton avis, est-ce que le fait de te connaître tel que tu es, lui a permis de faire elle aussi des choses qu’elle n’aurait pas faites si elle ne t’avait pas connu ?
. Qu’est-ce que cela te fait de parler d’elle comme on vient de le faire ?
. Est-ce que te souvenir de ton lien avec cette personne pourrait t’aider quand tu en auras besoin à l’avenir ?
L’objectif, en honorant les personnes importantes pour celui ou celle que nous accompagnons, est multiple :
• Les personnes en difficulté peuvent se sentir parfois seules face à ce qu’elles vivent. Il s’agit de recréer du lien et sortir la personne de l’isolement.
• Une personne en prise avec des difficultés peut être déconnectée de ses compétences et de ses qualités. Il s’agit de trouver des témoins de celles-ci, des personnes qui l’ont vue audacieuse, patiente, avisée, etc. Se reconnecter avec ces témoins est important car ces témoins portent la mémoire de nos compétences le temps que nous-même retrouvions la mémoire.
J’ai pu constater qu’à chaque fois que j’aborde une conversation de re-membering avec un de mes clients, c’est un moment très fort pour lui. Il prend conscience que désormais il ne va plus être seul à lutter contre son histoire de problème, qu’il a une histoire avec cette personne, une histoire qui parle de forces, de valeurs, de compétences et de succès.
Trouver une personne qui va l’aider à aider son client est aussi un moment fort pour le praticien narratif. Notamment entre les séances, dans le quotidien de la personne. Car, si la dynamique de re-membering se met bien en route, le client se rappellera lui-même son lien avec les témoins de ses compétences et de ses qualités lorsqu’il en ressentira le besoin.
C’est à partir de cette idée que j’ai décidé d’utiliser les «Perles de vie»** afin que les personnes que j’accompagne puissent se souvenir plus facilement et au quotidien du lien qui les unit avec leurs personnes ressources ou leurs histoires préférées.
La première fois que j’ai utilisé les Perles de vie c’est pour une mission de conduite du changement en entreprise. J’accompagnais un groupe dont le point commun était de travailler dans la même entreprise depuis plus de vingt ans. L’entreprise changeait de main et de méthodes et cela générait de l’anxiété, du stress et des freins au sein du groupe.
Avant d’aborder le sujet du changement, j’ai proposé que chacun liste tous les moments précieux de sa vie professionnelle qu’il a vécu dans cette entreprise: les rencontres importantes, les évènements qui ont compté, etc. Une fois qu’ils eurent tous fait leur liste d’évènements, j’ai posé sur une table un grand panier de perles de tailles, de formes et de couleurs différentes. Je leur ai demandé de venir choisir une perle par évènement, de prendre bien le temps de penser à l’évènement en choisissant la perle afin que celle-ci lui soit à jamais associée. Ils se sont ainsi tous retrouvés avec une poignée de perles. Je leur ai alors donné du fil pour que chacun relie ses perles. Ils se sont retrouvés avec une sorte de collier représentant les moments importants qu’ils avaient vécus dans cette entreprise. Jusque-là , je les avais fait travailler individuellement. Est venu le temps du partage.
Nous étions assis en cercle et j’ai demandé à chacun de regarder le collier de son voisin et de l’interroger à partir d’une de ses perles: « Qu’est-ce que cette perle dit de toi et de ce qui est important pour toi ? » Sans raconter forcément l’histoire, la personne dit juste ce qu’elle veut partager. Ex. : « Cette perle parle d’amour, car j’ai rencontré ma femme dans cette entreprise ». Ou bien: « Cette perle parle d’harmonie, car c’est une des fois où j’ai réussi à régler un conflit majeur dans mon équipe ».
Ce fut un très bel instant de partage où l’on a honoré les beaux moments professionnels. Ces beaux moments ont été secourus et préservés par la seule force du souvenir. Ils pourront être activés plus facilement par ces perles que nous pouvons garder près de nous, toucher.
Une fois que ces moments précieux ont été célébrés et mis à l’abri, le changement a pu être abordé car les personnes se sentent moins seules et plus fortes face aux futurs défis du changement.
Depuis lors, j’ai souvent utilisé les Perles de vie, notamment cette année avec une classe de 4ème ASP (aide et soutien personnalisé). Ce sont des jeunes détectés comme en difficulté dans leur parcours scolaire et que l’on regroupe dans une classe adaptée à leurs difficultés. Le principe est bon, mais ces jeunes vivent mal le fait d’être à l’écart du système dit « normal ». Mon travail auprès d’eux concerne essentiellement l’estime de soi. Il s’agit qu’ils se construisent une histoire qui les rende plus forts et qu’ils redeviennent ainsi auteur de leur vie.
Vers la fin de ma mission, alors que chacun avait bien avancé sur le chemin de la confiance en soi, je leur ai proposé un exercice qui allait leur permettre de s’accrocher un peu plus à cette confiance retrouvée.
Je leur ai demandé de lister individuellement toutes les personnes importantes, celles qui ont une influence positive dans leur vie, dans toutes les communautés de leur vie: à la maison, à l’école, etc. Pour les aider, je leur ai dit « Vous savez: ces personnes qui, lorsqu’elles vous regardent, font que vous vous sentez plus forts ».
Chacun a ainsi constitué son club de soutien. Ensuite, j’avais prévu tout le matériel nécessaire afin qu’ils aient le choix de faire un collier, un bracelet, un porte-clés, etc. Le principe était le même que pour le groupe de cadres que j’ai évoqué plus haut: prendre le temps de bien choisir les perles en pensant aux personnes qu’on leur associe.
A la fin, j’ai invité chacun des jeunes à présenter au reste de la classe une de ses perles. J’ai demandé : « Est-ce que tu peux nous présenter une de tes perles, celle de ton choix ? Nous dire ce que tu veux sur elle ? » Et ensuite : « A ton avis, en quoi garder cette perle près toi, pourrait t’aider ? A quel moment pourrais-tu en avoir besoin ? Que pourrait-elle te donner comme espoir ? »
Ils avaient magnifiquement compris l’exercice et nous avons eu de très jolies histoires de perles : «Cette perle, c’est ma petite nièce. C’est la seule qui arrive à me redonner le sourire. Je pense que cela pourra m’aider de regarder cette perle quand je serais triste ». « Cette perle c’est ma professeur de français en 6ème. Elle m’aimait bien et moi aussi je l’aimais bien. Avec elle je n’avais pas de problème, j’y arrivais. Je pense que cela pourra m’aider au moment des contrôles, quand je panique, de penser à elle »….
Le professeur principal qui assistait à la séance et moi-même avons été très touchés de voir que certaines perles parlaient de nous. Et nous étions ravis à l’idée que l’aide que nous leur apportions allait, grâce aux perles, se poursuivre au-delà de notre mission.
Dina Scherrer
*Inspirées des traditions amérindiennes, notamment chez les Indiens Navajos où les colliers de perles ont une portée symbolique. Ils protègent, donnent de la force et du courage.
*Dédicace à mon amie et collègue Véronique Vittet et à nos conversations stimulantes. C’est lors d’une de nos conversations qu’est née pour moi l’idée des Perles de vie.
Publié le : 1 mai 2015 | Aucun Commentaire | Partager/Mettre en favoris
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