« Les visages de la rentabilité» Publié le : 21 mars 2010
Ou la narrative pour voir la rentabilité autrement
Je viens de vivre une expérience professionnelle très intéressante. J’ai animé une journée de réflexion pour un groupe de financiers. Le sujet en était « Le défi de la rentabilité » et je n’ai pas eu à faire d’effort pour me mettre dans la peau du coach « ignorant » dont parlent Michael White et Pierre Blanc-Sahnoun, qui est la posture même d’un accompagnement narratif.
Comme tout le monde, surtout depuis que la crise est intervenue, j’avais lu pas mal d’articles sur le sujet, sur la responsabilité des financiers notamment. Je m’attendais à rencontrer des personnes sérieuses toutes vêtues de costumes sombres avec cravate assortie. Eh ! bien, j’avais tout faux. D’abord, ils étaient en tenue décontractée. Ensuite, ils n’avaient rien à voir avec ces spéculateurs de haut vol dont la presse parle. Ils étaient dans le métier de la banque, certes, mais dans ce qu’il a d’utile et de nécessaire à l’économie réelle. Ils se posaient des questions comme vous et moi et ils m’ont accueillie avec simplicité et cordialité. Ils m’ont fait crédit, si je puis dire. Ils se sont pliés de bonne grâce aux exercices que j’avais imaginés pour eux. Je dirai même qu’ils ont joué le jeu avec sincérité et bonne humeur.
Certes, je les ai parfois sentis un peu frustrés, eux qui sont habitués à recevoir des conférenciers brillants, grands spécialistes dans leur domaine, à se retrouver ainsi face à leurs propres questionnements et à une coach qui n’avait rien d’autre à leur donner que des questions bizarres. Ils ont cependant joué le jeu tout de suite et jusqu’au bout.
J’avais eu l’idée de placer cette journée dans le registre de l’allégorie. Un détour pour externaliser le sujet de la réflexion. Je leur ai proposé d’entrer dans la mythologie et d’imaginer une déesse de la rentabilité – leur déesse de la rentabilité. Je leur ai demandé non de la décrire mais de la dessiner ! Je dois dire qu’ils ont été très créatifs et productifs. Tous ont pris leur feuille de paperboard, leurs feutres et s’y sont mis de bon cœur. Au bout d’une demi-heure, nous avions une galerie de portraits de cette déesse de la rentabilité, allant du positif au négatif avec toutes les nuances intermédiaires. Une production d’une grande richesse, témoignant de la maturité de ce groupe par rapport au sujet. La rentabilité, commentait l’un devant son dessin, c’est elle qui permet de créer des richesses, de produire des services de qualité. Selon un autre, elle était aussi nécessaire que la santé mais ne devait pas devenir en soi une finalité. Le « toujours plus » pouvait être une voie stérile, car on ne vit pas que pour soi, on n’est légitime qu’autant qu’on est utile aux personnes et à la société. Il ne fallait pas que la course au « toujours plus » fasse de l’entreprise un parasite de son milieu. Au final, cette « déesse rentabilité » révélait des visages multiples et, en tout premier lieu, ces visages parlaient bien plus des hommes, des femmes, des territoires, des compétences, du travail de qualité que d’argent.
Je me suis demandé au soir de cette journée ce que j’avais pu leur apporter. C’est parfois la frustration que ressent celui qui n’apporte pas de contenu surtout quand il se retrouve dans un univers de spécialistes. Je n’étais pas venue leur apporter une interprétation de la crise. Cela – l’organisateur me l’avait dit – c’était pour le lendemain et, d’ailleurs, j’en aurais été bien incapable. Je ne leur avais pas non plus apporté des recettes pour tirer parti de la situation qu’ils vivent. Mon objectif, celui qu’on m’avait donné, à la fois humble et ambitieux, c’était de leur permettre de regarder en face les valeurs profondes qui les animent de sorte que l’urgence du quotidien et les pressions de toute nature ne les leur fassent pas oublier ou dénaturer. Dans un monde qui change, il n’y a pas d’autre boussole que nos valeurs.
C’était une utilisation inédite de la « narrative » et j’espère qu’elle sera féconde dans le long terme, avec tout ce que celui-ci réserve d’inattendu, à ces hommes et ces femmes de qualité que j’ai beaucoup appréciés. Et, si j’ai pu les aider à discerner les mille visages de la rentabilité, je les remercie de m’avoir montré ce visage de leurs activités.
Dina Scherrer
Publié le : 21 mars 2010 | Aucun Commentaire | Partager/Mettre en favoris
| 